Thursday, July 23, 2015

AMERICA TESTED BY THE RISE OF FOREIGN NATIONALISMS (ENA HORS LES MURS)

My recent article, "America Tested by the Rise Foreign Nationalisms," was published in the April 2015 edition of ENA Hors les Murs.

The article takes a look at US foreign policy, and Washington's posture abroad, when confronted by the rise of nationalisms around the globe - looking especially at the cases of its sole peer competitor (China), historical allies (Japan, Israel), and potential strategic partners (India, Russia) - and the particular challenges each poses to US interests.

The consequences, posited in this article, demand a reflection on the US' role and means in defending and projecting its influence amid shifting balances in a world dissatisfied with the consequences of globalization, as evidenced by the rëemergence of powerful "domestic fronts."

The full article (in French) after the jump.



L’Amérique à l’épreuve des nationalismes étrangers
avril 2015 / n°450

L’Amérique d’aujourd’hui est confrontée à une vague de nationalismes qui touche différentes régions du globe. Son peer competitor chinois, ses partenaires stratégiques potentiels autrefois courtisés  (l’Inde, la Russie), ses alliés historiques (Japon, Israël) posent problème, et les dirigeants américains suscitent, par leurs attitudes respectives, des débats complexes dans lesquels Washington n’a plus toujours le même contrôle que jadis. Dès lors, la capacité d’influer sur les réalités devient un critère d’évaluation de la politique étrangère de Barack Obama, tant pour ses opposants que pour ses supporters. Surtout, cette montée des nationalismes met en question le rapport de l’Amérique à l’altérité, que cet « Autre » soit considéré comme ennemi, comme partenaire, ou comme Etat clef à influencer.

La menace chinoise

En premier lieu la Chine, désormais principal peer competitor des Etats-Unis dans le monde, entretient un discours ferme, de plus en plus nationaliste. En décembre 2014, le président Obama a critiqué le président chinois Xi Jinping pour la marche forcée de sa consolidation de pouvoir, tout en critiquant son discours nationaliste sur les revendications territoriales et maritimes (notamment en Mer de chine du Sud) , le tout, de surcroît, sur une toile de fond domestique de harcèlement de la dissidence, d’hostilité à la liberté de l’Internet et de durcissement sur les droits de l’homme. Malgré les espoirs sans doute excessifs qu’aurait pu entretenir l’Occident lors de l’arrivée au pouvoir du président Xi (réformes domestiques, discours responsable sur rôle de la Chine sur la scène internationale), le « rêve chinois » risque de se transformer en posture belliqueuse. Bien que l’accent soit sans doute mis sur la croissance économique et le développement, la possibilité d’un discours anti-occidental (Xi a déjà fait évoquer négativement « les méthodes occidentales ») renforcé par une augmentation des capacités militaires, est envisagée.

Henry Kissinger a longtemps souligné que Chinois et Américains n’avaient aucun intérêt stratégique à une confrontation bilatérale, et devaient choisir la coopération. aujourd’hui la Chine détient environ un cinquième de la dette américaine, ce qui renforce encore cette interdépendance. Mais la ferveur nationaliste observable à Pékin risque d’éclipser ces considérations libérales, tandis que Pékin se sent plus libre de marquer sa distance avec Washington sur d’autres enjeux internationaux importants. Si quelques acteurs importants comme Hillary Clinton prônent encore l’approfondissement du dialogue, le nationalisme chinois suscite une riposte nationaliste aux Etats-Unis, qui insiste sur la menace potentielle ainsi faite à la prééminence politique américaine, à son industrie de manufacture, à ses valeurs démocratiques libérales, et les dangers qui pèsent sur ses alliés asiatiques. Ce sentiment de menace n’est pas, pour l’heure, partagé par l’opinion publique américaine, mais le discours stratégique des « faucons »  sur la Chine pourrait se transformer en rhétorique interne de suspicion et de protectionnisme à la veille des échéances électorales.

Échec du reset avec Moscou et Delhi

Dans la même région, les Etats-Unis doivent également faire face aux nationalismes de l’Inde et de la Russie, pourtant rêvés au début du premier mandat d’Obama comme des partenaires possibles dans le grand jeu de la Realpolitik.  Washington comptait en effet sur eux pour des coopérations importantes. George W. Bush avait ainsi signé un accord sur le nucléaire avec l’Inde dans l’espoir que Dehli soutiendrait l’Amérique contre la Chine ; Obama a tenté dès le début de sa présidence un « reset » avec la Russie, partenaire possible dans la lutte contre le terrorisme. Le nationalisme hindou de Narendra Modi, les déclarations enflammées de certains de ses ministres les plus importants (« l’Inde est un pays composé d’hindous et de bâtards »…) remet en cause cette politique indienne. Avec Moscou, le reset a tourné court. L’annexion de la Crimée sonne désormais comme une preuve de l’échec d’Obama, et de la naïveté de ses tentatives pour convaincre d’autres puissances de partager avec l’Amérique une grande vision politique pour le nouveau système international post-bipolaire. En attendant de mesurer l’impact réel des sanctions économiques infligées à Moscou, Obama est accusé de faiblesse face à un discours nationaliste russe qui ne se cache plus (avec des références fréquentes à l’histoire impériale russe), inquiète les alliés européens des pays d'Europe centrale et orientale, et se poursuit lui aussi sur fond de répression interne.

Plus problématiques encore, peut-être, que les nationalismes retrouvés du peer competitor chinois et des partenaires russe et indien d’une Realpolitik introuvable, le nationalisme de certains alliés, notamment le Japon et Israël, risque de menacer les intérêts stratégiques américains dans ces zones respectives – Asie et Proche-Orient. 

Les revendications japonaises

Le Japon de Shinzo Abe ne cherche plus à éviter la montée des tensions avec ses voisins chinois ni d’ailleurs sud-coréens. Son ambition de transformer la capacité militaire japonaise en force assumée (et non plus réduite à la défense du territoire), l’abolition de l’article 9 (restreignant la possibilité d’interventions militaires), la modification de la constitution pacifiste écrite dans l’après-guerre par les Américains, la réaffirmation des revendications territoriales (y compris vis-à-vis de la Russie sur les Kouriles), inquiètent Washington. Abe évoque fréquemment une menace militaire chinoise, sa visite controversée au sanctuaire Yasukuni, ses propos révisionnistes sur la Seconde Guerre mondiale (notamment sur les femmes coréennes enrôlées de force dans la prostitution), font peu de cas des susceptibilités ou des intérêts de ses alliés. Les Etats-Unis, qui ne souhaitent pas exacerber les tensions avec Pékin, se retrouvent gênés par cette rhétorique, du fait de ses accords de sécurité avec le Japon et le stationnement de ses troupes sur le sol japonais. Washington craint désormais une montée des hostilités débouchant sur un incident (maritime par exemple) qui en cas de dérapage entraînerait Washington dans une situation incontrôlable, à l’heure où la fameuse politique du « pivot » fait de l’Asie la nouvelle priorité de politique étrangère.

Le casse-tête israélien

Israël est un autre casse-tête pour Washington. Les déclarations du premier ministre Benjamin Netanyahu pour mobiliser la droite en sa faveur aux dernières élections ont incontestablement choqué. Les diatribes contre le nombre élevé d’arabes israéliens s’apprêtant à voter, les allusions à l’existence d’un complot international pour le renverser, la justification de la colonisation pour des raisons géopolitiques, surtout la promesse d’empêcher à tout prix la création d’un Etat palestinien, n’aident pas à plaider la cause de l'Etat hébreu dont Washington est perçu dans le monde comme l’allié inconditionnel.  Ajoutons à cela le style personnel de Premier ministre israélien, qui a accepté une invitation de John Boehner pour s’adresser aux deux chambres du Congrès sans avoir préalablement consulté le président, afin de venir dénoncer aux Etats-Unis même la position d’Obama dans les pourparlers avec l’Iran.  Considéré comme une insulte diplomatique sans précédent, cet épisode n’a pas suscité de réponse immédiate du président, mais a dégradé les relations. Après la victoire de Likoud et au moment de la constitution d’un bloc gouvernemental d’ultra-droite nationaliste, Obama a condamné les remarques du premier ministre comme nuisibles à l’objectif des Etats-Unis de promouvoir une solution à deux Etats. Washington n’exclut plus une révision de sa posture moyen-orientale, y compris le soutien à une résolution onusienne pour reconnaître un Etat palestinien. Le parti républicain, silencieux dans les jours qui ont suivi les déclarations israéliennes, se retourne maintenant contre Obama, accusé de trahir son allié. Mais des démocrates aussi bien que des figures importantes comme le Général Petraeus ont sonné l’alarme, estimant que l’attitude d’Israël menaçait directement les intérêts nationaux et la sécurité des Etats-Unis. En d’autres termes, le discours dur d’Israël déclenche à la fois un débat houleux aux Etats-Unis une fenêtre d’opportunité pour une rupture stratégique, et impose des repositionnements probables aux candidats à l’élection de 2016. Hillary Clinton, supporter fervente d’Israël, pourra-t-elle par exemple rester sur cette ligne ?

Chacun de ces trois types de nationalisme – celui du rival, de l’interlocuteur ou de l’allié – oblige les Etats-Unis à s’adapter à un paysage international plus hostile aux mécanismes de la mondialisation, et à une vision libérale de l’interdépendance. Surtout, ces nationalismes imposent une réflexion américaine de politique étrangère sur le rapport à l’Autre. L’Autre avec ses propres intérêts, agendas, identités, valeurs, et logiques. L’Autre qui ne souhaite pas être réduit au rôle d’accessoire d’une politique étrangère américaine. L’Autre qui résiste pour des raisons intérieures à la raison impérieuse de la Realpolitik ou de l’alliance.  La question qui se pose pour l’establishment politique américain est alors la suivante : dans quelle mesure les Etats-Unis doivent-ils encore essayer d’influencer avec les moyens traditionnels les réalités et comportements extérieurs, au risque de renforcer des réactions nationalistes ou identitaires ? Un aggiornamento des pratiques de l’influence américaine n’est-il pas à l’ordre du jour ? C’est là un défi de relations internationales qui dépasse la seule politique étrangère américaine, et qui implique une refondation des socles mêmes et des principes du dialogue interétatique, de plus en plus otage des « fronts domestiques ».



Amy Greene est politologue américaine, spécialiste des Etats-Unis et auteur du blog Potusphere. Elle collabore avec des think tanks et responsables politiques français, européens et américains. Auteur de L’Amérique Après Obama (Autrement, 2012), elle enseigne la politique américaine à Sciences Po Paris.